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SUR LE GOUT

à mettre par le moyen des contrastes est devenue une symétrie et une vicieuse uniformité.

Ceci ne se sent pas seulement dans de certains ouvrages de sculpture et de peinture, mais aussi dans le style de quelques écrivains, qui, dans chaque phrase, mettent toujours le commencement en contraste avec la fin par des antithèses continuelles, tels que saint Augustin et autres auteurs de la basse latinité, et quelques-uns de nos modernes, comme Saint-Évremont. Le tour de phrase, toujours le même et toujours uniforme, déplaît extrêmement ; ce contraste perpétuel devient symétrie, et cette opposition toujours recherchée devient uniformité. L’esprit y trouve si peu de variété que, lorsque vous avez vu une partie de la phrase, vous devinez toujours l’autre ; vous voyez des mots opposés, mais opposés de la même manière ; vous voyez un tour de phrase, mais c’est toujours le même.

Bien des peintres sont tombés dans le défaut de mettre des contrastes partout et sans ménagement ; de sorte que, lorsqu’on voit une figure, on devine d’abord la disposition de celles d’à côté : cette continuelle diversité devient quelque chose de semblable. D’ailleurs la nature, qui jette les choses dans le désordre, ne montre pas l’affectation d’un contraste continuel ; sans compter qu’elle ne met pas tous les corps en mouvement, et dans un mouvement forcé. Elle est plus variée que cela ; elle met les uns en repos, et elle donne aux autres différentes sortes de mouvement.

Si la partie de l’âme qui connaît, aime la variété, celle qui sent ne la cherche pas moins : car l’âme ne peut pas soutenir long-temps les mêmes situations, parce qu’elle est liée à un corps qui ne peut les souffrir. Pour que notre âme soit excitée, il faut que les esprits coulent dans les nerfs ; or il y a là deux choses : une lassitude dans les nerfs, une