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SUR LE GOUT

stant[1] les proportions, à cause des différentes attitudes dans lesquelles il faut qu’ils mettent les corps : par exemple, un bras tendu est bien plus long que celui qui ne l’est pas. Personne n’a jamais plus connu l’art que Michel-Ange ; personne ne s’en est joué davantage. Il y a peu de ses ouvrages d’architecture où les proportions soient exactement gardées ; mais, avec une connaissance exacte de tout ce qui peut faire plaisir, il semblait qu’il eût un art à part pour chaque ouvrage.

Quoique chaque effet dépende d’une cause générale, il s’y mêle tant d’autres causes particulières, que chaque effet a, en quelque façon, une cause à part. Ainsi l’art donne les règles, et le goût les exceptions ; le goût nous découvre en quelles occasions l’art doit soumettre[2], et en quelles occasions il doit être soumis.


PLAISIR FONDÉ SUR LA RAISON[3].


J’ai dit souvent que ce qui nous fait plaisir doit être fondé sur la raison ; et ce qui ne l’est pas à certains égards, mais parvient à nous plaire par d’autres, doit s’en écarter le moins qu’il est possible.

Et je ne sais comme il arrive que la sottise de l’ouvrier, bien marquée, fait que l’on ne peut plus se plaire à son ouvrage ; car dans les ouvrages de goût il faut, pour qu’ils plaisent, avoir une certaine confiance à l’ouvrier, que l’on perd d’abord lorsque l’on voit, pour première chose, qu’il pèche contre le bon sens.

  1. Première édition : à tous les instants.
  2. Première édition : doit se soumettre.
  3. Tout ce qui suit est tiré des Annales littéraires.