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PENSÉES DIVERSES.

Les chercher dans leurs historiens, c’est comme si nous voulions trouver les nôtres en lisant les guerres de Louis XIV.

République de Platon, pas plus idéale que celle de Sparte.

Pour juger les hommes, il faut leur passer les préjugés de leur temps.


DES MODERNES.


Nous n’avons pas d’auteur tragique qui donne à l’âme de plus grands mouvements que Crébillon, qui nous arrache plus à nous-mêmes, qui nous remplisse plus de la vapeur du dieu qui l’agite : il vous fait entrer dans le transport des bacchantes. On ne saurait juger son ouvrage, parce qu’il commence par troubler cette partie de l’âme qui réfléchit. C’est le véritable tragique de nos jours, le seul qui sache bien exciter la véritable passion de la tragédie : la terreur.

Un ouvrage original en fait toujours construire cinq ou six cents autres ; les derniers se servent des premiers à peu près comme les géomètres se servent de formules.

J’ai entendu la première représentation d’Inès de Castro[1], de M. de La Motte. J’ai bien vu qu’elle n’a réussi qu’à force d’être belle, et qu’elle a plu aux spectateurs malgré eux. On peut dire que la grandeur de la tragédie, le sublime et le beau, y règnent partout. Il y a un second acte qui, à mon goût, est plus beau que tous les autres : j’y ai trouvé un art souvent caché qui ne se dévoile pas à la première représentation, et je me suis senti plus touché la dernière fois que la première.

Je me souviens qu’en sortant d’une pièce intitulée Ésope à la cour[2], je fus si pénétré du désir d’être plus honnête

  1. Le 6 avril 1723.
  2. De Boursault.