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PENSÉES DIVERSES.

Un certain esprit de gloire et de valeur se perd peu à peu parmi nous. La philosophie a gagné du terrain ; les idées anciennes d’héroïsme et de bravoure, et les nouvelles de chevalerie, se sont perdues. Les places civiles sont remplies par des gens qui ont de la fortune, et les militaires décréditées par des gens qui n’ont rien. Enfin c’est presque partout indifférent pour le bonheur d’être à un maître ou à un autre : au lieu qu’autrefois une défaite ou la prise de sa ville était jointe à la destruction ; il était question de perdre sa ville, sa femme et ses enfants. L’établissement du commerce des fonds publics, les dons immenses des princes, qui font qu’une infinité de gens vivent dans l’oisiveté, et obtiennent la considération même par leur oisiveté, c’est-à-dire par leurs agréments ; l’indifférence pour l’autre vie, qui entraîne dans la mollesse pour celle-ci, et nous rend insensibles et incapables de tout ce qui suppose un effort ; moins d’occasions de se distinguer ; une certaine façon méthodique de prendre des villes et de donner des batailles, la question n’étant que de faire une brèche et de se rendre quand elle est faite ; toute la guerre consistant plus dans l’art que dans les qualités personnelles de ceux qui se battent, l’on sait à chaque siége le nombre de soldats qu’on y laissera ; la noblesse ne combat plus en corps.

Nous ne pouvons jamais avoir de règles dans nos finances, parce que nous savons toujours que nous ferons quelque chose, et jamais ce que nous ferons[1].

On n’appelle plus un grand ministre un sage dispensateur des revenus publics, mais celui qui a de l’industrie et de ce qu’on appelle des expédients.

L’on aime mieux ses petits-enfants que ses fils : c’est

  1. Esprit des Lois, liv. XIII, ch. xv.