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DISCOURS

comme ces naissances heureuses où les intelligences du ciel président toujours.

On avoit vu jusqu’ici les sciences non pas négligées, mais méprisées, le goût entièrement corrompu, les belles-lettres ensevelies dans l’obscurité, et les muses étrangères dans la pairie des Paulin et des Ausone.

Nous nous trompions de croire que nous fussions connus chez nos voisins par la vivacité de notre esprit ; ce n’étoit sans doute que par la barbarie de notre langage.

Oui, messieurs, il a été un temps où ceux qui s’attachoient à l’étude étoient regardés comme des gens singuliers, qui n’étoient point faits comme les autres hommes. Il a été un temps où il y avoit du ridicule et de l’affectation à se dégager des préjugés du peuple, et où chacun regardoit son aveuglement comme une maladie qui lui étoit chère, et dont il étoit dangereux de guérir.

Dans un temps si critique pour les savants, on n’étoit point impunément plus éclairé que les autres : si quelqu’un entreprenoit de sortir de cette sphère étroite qui borne les connoissances des hommes, une infinité d’insectes qui s’élevoient aussitôt formoient un nuage pour l’obscurcir ; ceux même qui l’estimoient en secret se révoltoient en public, et ne pouvoient lui pardonner l’affront qu’il leur faisoit de ne pas leur ressembler.

Il n’appartenoit qu’à vous de faire cesser ce règne ou plutò cette tyrannie de l’ignorance : vous l’avez fait, messieur ; cette terre où nous vivons n’est plus si aride ; les lauriers y croissent heureusement ; on en vient cueillir de toutes parts : les savants de tous les pays vous demandent des couronnes :

Manibus date lilia plenis [1].
  1. Virg., Æneid., VI, v. 885.