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LETTRES FAMILIÈRES.


voir. A présent que je n’ai que des objets tristes, je m’occupe à lire des romans ; quand je serai plus heureux, je lirai de vieilles chroniques pour tempérer les biens et les maux ; mais je sens qu’il n’y a pas de lectures qui puissent remplacer un quart d’heure de ces soupers qui faisoient mes délices. Je vous prie de parler de moi à Madame du Châtel. J’apprends que les requêtes du palais n’ont pas été favorables à Madame de Stainville ; dites-lui combien je suis sensible à tout ce qui la touche, et cette personne charmante qui n’aura jamais de rivale aux yeux de personne que madame sa mère. Parlez aussi de moi à ce président [1] qui me touche comme les Grâces et m’instruit comme Machiavel, qui ne se soucie point de moi, parce qu’il se soucie de tout le monde, et dont j’espère toujours d’acquérir l’estime, sans jamais pouvoir espérer les sentiments. Je n’aurois jamais fini si je voulois suivre cette phrase ; mais c’est assez le désobliger pour le mal que je lui veux.

Je n’entends ici parler que de vignes, de misère et de procès, et je suis heureusement assez sot pour m’accuser de tout cela, c’est-à-dire pour m’y intéresser. Mais je ne songe pas que je vous ennuie à la mort, et que la chose du monde qui vous fait le plus de mal, c’est l’ennui ; et je ne dois pas vous tuer, comme font les Italiens, par une lettre.

Je vous supplie. Madame, d’agréer mon respect [2].


De la Brède, 15 juin [1751].
  1. Le président Hénault.
  2. Dans la Correspondance inédite de Mme du Deffand, quelques-unes de ces lettres portent des dates reculées de dix ans ; ce qui est évidemment une erreur, puisqu’il y est parlé d’événemens arrivés postérieurement à ces dates. (Note de l’édition Dalibon. Paris, 1827.)
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