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VOYAGE


Grâces reçoivent les vrais amants. Je sais combien vous aimez Mélite, me dit-elle, mais vous croyez n’aimer qu’une mortelle, telles que sont toutes les mortelles aimables ; je vais vous apprendre quelle est Mélite.

La mère des Grâces prit naissance dans l’empire de Neptune. Dès qu’elle y parut, tous les Dieux vinrent lui rendre hommage ; les Amours, en naissant autour de la Déesse, folâtraient avec les plus grandes Divinités. Vénus fut bientôt maîtresse du monde entier ; tout reconnut sa puissance, et Neptune se glorifiait d’avoir vu naître la souveraine de l’univers.

L’envie règne partout, même dans les cieux. La Déesse de la Terre, jalouse de la gloire de Neptune, alla se plaindre au Destin. « Arbitre des immortels, lui dit-elle, pourquoi faut-il que Neptune l’emporte sur la mère des Dieux ? S’il était arrêté que Vénus ne naîtrait pas dans l’Olympe, ce n’était pas au Dieu des mers à lui donner le jour ; Cybèle attendait cet honneur. Consolez-vous, répondit le Destin à la Déesse. Il naîtra dans votre empire une mortelle dont l’Olympe à son tour deviendra jaloux. Sa beauté n’égalera pas celle de Vénus ; mais sous des traits moins réguliers on verra briller plus de finesse et d’enjouement ; sa vivacité l’emportera sur la majesté même, et, sans être divine, elle recevra les hommages des mortels.

Trop heureux Diphile, reconnaissez Mélite, et ne vous étonnez pas si nous la suivons sans cesse. Vénus joint à la beauté les charmes que lui donnent les Grâces, et nous joignons à nos charmes les agréments que nous donne Mélite ; mais elle ignore elle-même tous les avantages qu’elle a reçus des Dieux ; faible mortelle, la vanité les diminuerait peut-être. Que de belles seraient aimables, si elles savaient ignorer que la beauté sert à se faire aimer.