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VOYAGE

Chez les mortels, sa distraction passerait peut-être pour fierté ; car souvent ceux qu’on accuse y sont les moins sujets. Ne vous y trompez pas, Diphile, tel ne vous paraît méprisant que parce qu’il ne comprend pas qu’on puisse l’être ; il s’abandonne à sa pensée, ou à sa nonchalance naturelle ; et s’il croyait qu’on put soupçonner quelqu’un de fierté, il s’appliquerait à détromper ceux qui l’en soupçonnent. Ah ! Nymphe, que ne pense-t-on ailleurs comme on pense à Paphos [1].

Dès que nous eûmes perdu la troupe de vue, nous continuâmes l’entretien que l’arrivée de Mercure avait interrompu. La Nymphe me fit un discours charmant sur la vraie délicatesse ; elle m’enseignait l’art de conserver les plaisirs qu’on connaît, et de faire naître ceux qu’on ne connait pas, quand nous arrivâmes au pavillon des songes.

Ah ! m’écriai-je, voilà un songe qui ne me quitte point ; c’est lui qui rassemble tous les charmes de Mélite. Cette nuit encore... mais pourquoi aimer ce trompeur ? Mon réveil me le fait trouver si cruel ?

J’aperçois, dit Zélide, celui qui me touche le plus ; il me représente Lycas tendrement couché auprès de moi [2] ; toutes les nymphes l’admirent : qu’il est charmant, disent-elles ! Il est digne de Vénus ; qu’il est heureux ! Oui, répond Lycas, d’aimer Zélide et d’en être aimé.

Mais dans tous ces songes, je n’en vois aucun que la jalousie ait pu former. La jalousie, s’écrie Zélide, on ne la connaît point à Paphos ; ses songes volent à la suite de l’Hymen ; et l’Amour ne la connaît que pour s’en défendre. On évite ici ces soupçons, ces plaintes, ces justifications,

  1. Est-ce une allusion à la distraction bien connue de Montesquieu ?
  2. A. Il me représente Palmire, tendrement couché sur mon sein.