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DISCOURS ACADÉMIQUES.

relâche, et qu’il vit si cette application pouvoit donner à son esprit la mesure de connoissances et le degré de lumière que son état exigeoit.

On lit, dans les relations de certains voyageurs, qu’il y a des mines où les travailleurs ne voient jamais le jour. Ils sont une image bien naturelle de ces gens dont l’esprit, appesanti sous les organes, n’est capable de recevoir aucun degré de clairvoyance. Une pareille incapacité exige d’un homme juste qu’il se retire de la magistrature ; une moindre incapacité exige d’un homme juste qu’il la surmonte par des sueurs et par des veilles.

Il faut encore que la justice soit prompte. Souvent l’injustice n’est pas dans le jugement, elle est dans les délais ; souvent l’examen a fait plus de tort qu’une décision contraire. Dans la constitution présente, c’est un état que d’être plaideur ; on porte ce titre jusqu’à son dernier âge : il va à la postérité ; il passe, de neveux en neveux, jusqu’à la fin d’une malheureuse famille.

La pauvreté semble toujours attachée à ce titre si triste. La justice la plus exacte ne sauve jamais que d’une partie des malheurs ; et tel est l’état des choses, que les formalités introduites pour conserver l’ordre public sont aujourd’hui le fléau des particuliers. L’industrie du palais est devenue une source de fortune, comme le commerce et le labourage ; la maltôte a trouvé à s’y repaître et à disputer à la chicane la ruine d’un malheureux plaideur.

Autrefois les gens de bien menoient devant les tribunaux les hommes injustes : aujourd’hui ce sont les hommes injustes qui y traduisent les gens de bien. Le dépositaire a osé nier le dépôt, parce qu’il a espéré que la bonne foi craintive se lasseroit bientôt de le demander en justice ; et le ravisseur a fait connoître à celui qu’il opprimoit qu’il