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Page:Montesquieu - Le Temple de Gnide, 1824.djvu/50

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extérieure : ils quittent un plaisir qui leur déplaît pour un plaisir qui leur déplaira encore : tout ce qu’ils imaginent est un nouveau sujet de dégoût.

Leur âme, incapable de sentir les plaisirs, semble n’avoir de délicatesse que pour les peines : un citoyen fut fatigué, toute une nuit, d’une rose qui s’était repliée dans son lit.

La mollesse a tellement affaibli leurs corps, qu’ils ne sauraient remuer les moindres fardeaux ; ils peuvent à peine se soutenir sur leurs pieds ; les voitures les plus douces les font évanouir ; lorsqu’ils sont dans les festins, l’estomac leur manque à tous les instans.

Ils passent leur vie sur des siéges renversés, sur lesquels ils sont obligés de se reposer tout le jour, sans s’être fatigués : ils sont brisés quand ils vont languir ailleurs.

Incapables de porter le poids des armes, timides devant leurs concitoyens, lâches devant les étrangers, ils sont des esclaves tout prêts pour le premier maître.

Dès que je sus penser, j’eus du dégoût pour la malheureuse Sybaris. J’aime la vertu, et j’ai toujours craint les dieux immortels. Non, disais-je, je ne respirerai pas plus long-temps cet air empoisonné : tous ces esclaves de la mollesse sont