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Page:Montesquieu - Le Temple de Gnide, 1824.djvu/53

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Je me remis en mer, cherchant toujours quelque terre chérie des dieux ; les vents me portèrent à Délos. Je restai quelques mois dans cette île sacrée. Mais, soit que les dieux nous préviennent quelquefois sur ce qui nous arrive, soit que notre âme retienne de la divinité, dont elle est émanée, quelque faible connaissance de l’avenir, je sentis que mon destin, que mon bonheur même, m’appelaient dans un autre pays.

Une nuit que j’étais dans cet état tranquille où l’âme, plus à elle-même, semble être délivrée de la chaîne qui la tient assujettie, il m’apparut, je ne sus pas d’abord si c’était une mortelle ou une déesse. Un charme secret était répandu sur toute sa personne : elle n’était point belle comme Vénus, mais elle était ravissante comme elle : tous ses traits n’étaient point réguliers, mais ils enchantaient tous ensemble : vous n’y trouviez point ce qu’on admire, mais ce qui pique : ses cheveux tombaient négligemment sur ses épaules, mais cette négligence était heureuse : sa taille était charmante ; elle avait cet air que la nature donne seule et dont elle cache le secret aux peintres mêmes. Elle vit mon étonnement ; elle en sourit. Dieux ! quel souris ! Je suis, me dit-elle d’une voix qui pénétrait le cœur, la seconde des Grâces :