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Page:Montesquieu - Le Temple de Gnide, 1824.djvu/70

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et nous étions dévorés de soupçons et d’inquiétudes.

Il nous semblait que les cruelles déesses ne nous avaient agités que pour nous faire pressentir des malheurs auxquels nous étions destinés.

Quelquefois nous regrettions le temple de Bacchus ; bientôt nous étions entraînés vers celui de Gnide : nous voulions voir Thémire et Camille, ces objets puissans de notre amour et de notre jalousie.

Mais nous n’avions aucune de ces douceurs que l’on a coutume de sentir lorsque, sur le point de revoir ce qu’on aime, l’âme est déjà ravie, et semble goûter d’avance tout le bonheur qu’elle se promet.

Peut-être, dit Aristée, que je trouverai le berger Lycas avec Camille ; que sais-je s’il ne lui parle pas dans ce moment ? Ô dieux ! l’infidèle prend plaisir à l’entendre !

On disait l’autre jour, repris-je, que Thyrsis, qui a tant aimé Thémire, devait arriver à Gnide ; il l’a aimée, sans doute qu’il l’aime encore : il faudra que je dispute un cœur que je croyais tout à moi.

L’autre jour Lycas chantait ma Camille : que j’étais insensé ! j’étais ravi de l’entendre louer.