Page:Montesquieu - Lettres persanes II, 1873.djvu/6

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On peut poser pour maxime que, dans chaque État, le désir de la gloire croît avec la liberté des sujets, et diminue avec elle : la gloire n’est jamais compagne de la servitude.

Un homme de bon sens me disoit l’autre jour : On est, en France, à bien des égards, plus libre qu’en Perse ; aussi y aime-t-on plus la gloire. Cette heureuse fantaisie fait faire à un François, avec plaisir et avec goût, ce que votre sultan n’obtient de ses sujets qu’en leur mettant sans cesse devant les yeux les supplices et les récompenses.

Aussi, parmi nous, le prince est-il jaloux de l’honneur du dernier de ses sujets. Il y a pour le maintenir des tribunaux respectables : c’est le trésor sacré de la nation, et le seul dont le souverain n’est pas le maître, parce qu’il ne peut l’être, sans choquer ses intérêts. Ainsi, si un sujet se trouve blessé dans son honneur par son prince, soit par quelque préférence, soit par la moindre marque de mépris, il quitte sur-le-champ sa cour, son emploi, son service, et se retire chez lui.

La différence qu’il y a des troupes françoises aux vôtres, c’est que les unes, composées d’esclaves naturellement lâches, ne surmontent la crainte de la mort que par celle du châtiment ; ce qui produit dans l’âme un nouveau genre de terreur qui la rend comme stupide : au lieu que les autres se présentent aux coups avec délice et bannissent la crainte par une satisfaction qui lui est supérieure.

Mais le sanctuaire de l’honneur, de la réputation et de la vertu, semble être établi dans les républiques, et dans les pays où l’on peut prononcer le mot de patrie. À Rome, à Athènes, à Lacédémone, l’honneur payoit seul les services les plus signalés. Une couronne de chêne ou de laurier, une statue,