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Page:Montesquieu Esprit des Lois 1777 Garnier 1.djvu/369

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Liv. VII. Chap. I.

les citoyens, & de l’inégalité des richesses des divers états. En Pologne, par exemple, les fortunes sont d’une inégalité extrême ; mais la pauvreté du total empêche qu’il n’y ait autant de luxe que dans un état plus riche.

Le luxe est encore en proportion avec la grandeur des villes, & sur-tout de la capitale ; en sorte qu’il est en raison composée des richesses de l’état, de l’inégalité des fortunes des particuliers, & du nombre d’hommes qu’on assemble dans de certains lieux.

Plus il y a d’hommes ensemble, plus ils sont vains & sentent naître en eux l’envie de se signaler par de petites choses[1]. S’ils sont en si grand nombre, que la plupart soient inconnus les uns aux autres, l’envie de se distinguer redouble, parce qu’il y a plus d’espérance de réussir. Le luxe donne cette espérance ; chacun prend les marques de la condition qui précede la sienne. Mais à force de vouloir se distinguer, tout

  1. Dans une grande ville, dit l’auteur de la fable des abeilles, tom. I. pag. 133. on s’habille au-dessus de sa qualité, pour être estimé plus qu’on n’est par la multitude. C’est un plaisir pour un esprit foible, presqu’aussi grand que celui de l’accomplissement de ses désirs.