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Page:Montesquieu Esprit des Lois 1777 Garnier 1.djvu/72

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Éloge

noître la vérité : j’ai vu tous les personnages illustres de mon temps ». Mais il y eut cette différence entre le Démocrite françois & celui d’Abdere, que le premier voyageoit pour instruire les hommes, & le second pour s’en moquer.

Il alla d’abord à Vienne, où il vit souvent le célebre Prince Eugene. Ce héros si funeste à la France (à laquelle il auroit pu être si utile), après avoir balancé la fortune de Louis XIV, & humilié la fierté ottomane, vivoit sans faste durant la paix, aimant & cultivant les lettres dans une cour où elles sont peu en honneur, & donnant à ses maîtres l’exemple de les protéger. M. de Montesquieu crut entrevoir dans ses discours quelques restes d’intérêt pour son ancienne patrie. Le prince Eugene en laissoit voir sur-tout, autant que le peut faire un ennemi, sur les suites funestes de cette division intestine qui trouble depuis si long temps l’église de France : l’homme d’état en prévoyoit la durée & les effets, & les prédit au philosophe.

M. de Montesquieu partit de Vienne pour voir la Hongrie, contrée opulente & fertile, habitée par une nation fiere & généreuse, le fléau de ses tyrans, & l’appui de ses souverains. Comme peu de personnes connoissent bien ce pays, il a écrit avec soin cette partie de ses voyages.