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Page:Morelles - Les diamants de Kruger, 1906.djvu/20

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parcours, ils n’avaient entendu que ces mots : Ladysmith ! douze mille prisonniers ! immense désastre ! On eût dit que ce mot « désastre » était un mot magique, un baume pour tous ces cœurs de jeunes gens qui battaient sous la tunique de kaki. Ce mot terrible, ils se le répétaient avec des clins-d’œil, avec de gros rires nerveux mais satisfaits. Pensez-y, douze mille Boers d’un coup ! Ça marchait bien, il s’annonçait bien le pique-nique.

Dolbret ne riait pas, lui. Il contemplait cette scène d’un air triste. Il se disait aussi : Combien en reviendra-t-il ? Pourquoi moi, dont l’avenir est si sombre, qui n’ai pas l’énergie de la vie normale, pourquoi ne me suis-je pas engagé pour aller tomber, ignoré et oublié, sous la balle d’un de ces braves Boers ?

Il était à ces réflexions quand tout à coup, par un mouvement inconscient, il se trouva dans le rang du dernier bataillon. Il venait d’apercevoir, presque méconnaissable sous l’uniforme jaune, son ancien camarade Antoine Morot. Leurs mains se serrèrent.

— Tu viens me reconduire au paquebot ? fit le soldat.

— Mon Dieu, oui, dit Pierre tout hésitant.

— Eh ! bien, mon vieux Pierre, que fais-tu maintenant ? ça va toujours, la profession ?

— Mieux que jamais, mon cher.

À quoi bon, pensait-il, lui confier mes misères.

— Et toi, veux-tu me dire quelle idée tu as d’aller te battre contre les Boers, des gens qui font comme nous fîmes en 1837 ?

À ce moment, un remous se fit, Dolbret se