Aller au contenu

Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/196

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sénancour[1], toutes les belles et poignantes souffrances du poëte de ce temps, non encore résigné

  1. Sénancour est tellement oublié que je crois à propos de citer ici, d’Obermann, quelques lignes, çà et là, préférées.

    « Qu’une fois, avant la mort, je puisse dire à un homme qui m’entende : Si nous avions vécu ! — … Ainsi, voyant dans les choses des rapports qui n’y sont guère et cherchant ce que je n’obtiendrai jamais, étranger dans la nature réelle, ridicule au milieu des hommes, je n’aurai que des affections vaines ; et soit que je vive selon moi-même, soit que je vive selon les hommes, je n’aurai dans l’oppression extérieure ou dans ma propre contrainte que l’éternel tourment d’une vie toujours réprimée et toujours misérable. — … Une jonquille était fleurie. C’est la plus forte expression du désir. — … J’ai honte des affaires de la vie civile. — … Opposant à mes ennemis cette conviction qui me place intérieurement auprès de l’homme tel qu’il serait. — …Je demande si le bonheur n’est pas un rêve d’enfant. — … Je suis condamné à attendre toujours la vie. — … Je ne sens plus que ce qui est extraordinaire. — … Je ne connais point la satiété, je trouve partout le vide. — … Pour moi, je me mis à rêver, au lieu d’avoir du plaisir. — … En cherchant avec impatience ce qui ne m’intéresse point…. — Que d’infortunés auront dit, de siècle en siècle, que les fleurs nous ont été accordées pour couvrir notre chaîne, pour nous abuser tous au commencement et contribuer même à nous retenir jusqu’au terme ! Elles font plus, mais assez vainement peut-être ; elles semblent indiquer ce que nulle tête mortelle n’approfondira. Si les fleurs n’étaient que belles, sous nos yeux, elles séduiraient encore ; mais parfois, ce parfum entraîne, comme une heureuse condition de l’existence, comme un appel subit, un retour à la vie plus intime. Soit que j’aie cherché ces émanations invisibles, soit qu’elles s’offrent, qu’elles surprennent, je les reçois comme une expression forte, mais précaire, d’une pensée dont le monde matériel renferme, mais voile le secret… Espérer, puis n’espérer plus, c’est être ou n’être plus : voilà l’homme, sans doute. Mais