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Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/199

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personnelles, de la tristesse de Sénancour. Il n’avait pas su choisir entre la joie sentimentale d’agir et l’austère bonheur de vivre en soi : du moins, à défaut de la choisir, a-t-il eu la force d’indiquer la meilleure part.

Gérard de Nerval, — le merveilleux mystère de cette vie intérieure. En lui ce sens s’exaltait parfois jusqu’à rompre l’équilibre et l’harmonie des autres sens, jusqu’à troubler la vie. Tant qu’ils demeurent plutôt pressentis que prouvés, les dons suprêmes — dont l’avènement définitif égalise et fortifie tous les éléments du génie — absorbent injustement tout l’esprit, le lancinent, l’intriguent, risquent de l’altérer. C’est ainsi que le même don, s’il est à Gérard de Nerval, produira Le Rêve et la Vie, morceaux sublimes d’une œuvre incohérente où la vie intérieure, au lieu de régir l’autre, sans se confondre avec elle, l’annihile tantôt et tantôt la déprave, — et s’il est à Balzac, produira Louis Lambert et Seraphita, œuvres du plus parfait équilibre. — Mais l’intuition de Nerval est claire. Cette perception de deux existences simultanées se correspondant en une seule âme, il n’a que le tort de l’avoir soit arrêtée trop court dans la voie vers le symbole, soit de la séparer trop net de l’ensemble de la vie normale. C’est un mélange des procédés direct et indirect, un atermoiment qui fatigue. Mais que de pages extraordinaires ! Cette folie, quelle étonnante intelligence de l’invisi-