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Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/235

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détail qu’à fixer les certitudes de ce que les Naturalistes dénomment non sans pédantisme « la grande enquête », point de vue qui fait souvent de leurs livres une littérature de commissaires-priseurs — M. de Goncourt a réalisé la synthèse de l’âme humaine. Il en a suivi sur cette physionomie jamais immobile la multiple et fuyante expression, il en a saisi l’insaisissable. On connaît, en ce genre, dans Madame Gervaisais, dans Renée Mauperin, dans La Faustin et dans Chérie des pages tout à fait merveilleuses qui ont sollicité et découragé bien des imitations. — Ce désir, et aussi cette conquête de l’insaisissable ont naturellement conduit M. de Goncourt dans la voie explorée par Sainte-Beuve déjà : mais M. de Goncourt y est allé très loin et, je crois bien, jusqu’au terme lui-même. Chez lui pour la première fois nous voyons l’écrivain s’inventer de toutes pièces « une langue personnelle ». Je sais tout ce qu’on peut dire contre cette tentative d’écrire dans un idiome qu’on possède seul et qu’il faut que le lecteur apprenne pour bien l’entendre, et je sais que tout ce qu’on peut dire ne fait, selon le mot de Molière, que blanchir devant ce jugement qu’il faut que toute sincérité éclairée porte sur cette tentative : cela est beau. On prétend que c’est là priver l’œuvre d’une longue clarté, et rien n’est puéril comme cette prétention quand le temps se charge de créer à chaque siècle une langue personnelle que