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Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/349

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d’un Homme et de Dieu enivrerait tout le reste des hommes du dégoût de vivre hors Dieu et que ce serait la chute des apparences dans le Réel. — C’est ce qu’a merveilleusement dit Alber Jhouney, dans un poëme que je voudrais pouvoir citer tout entier. C’est comme une harmonieuse paraphrase de certaines lignes de Seraphita. L’âme humaine, la Reine, éprise d’Absolu, laisse chuchoter à ses oreilles les tentateurs vers tous les plaisirs relatifs ; les Archanges, les Chevaliers, les Rois, les Savants, les Poètes, les Démons ont supplié, la Heine ne les a pas entendus. Le Mage même,

Pâle et beau comme Apollonius de Tyane,

celui qui possède les secrets du ciel et de l’enfer, mais qui les confond dans l’égoïsme d’un orgueil où l’Enfer prévaut, le Mage lui a murmuré :

Si tu veux être Lucifer et sa victime,
La tentatrice et la séduite, laisse-moi
Éveiller en ton sein que mon souffle envenime

Un désir, non pas riche et dévorant, mais froid
Comme la volonté d’une raison perverse
Qui, pour toi, me rendra moins dangereux que toi.

Voici le chant secret, l’eau morte que je verse
En l’urne taciturne et dure, dans ton cœur,
Eau corrosive qui le mord et qui le perce ;

Eau qui change en bronze informe l’airain vainqueur
Et l’urne orgueilleuse en vase des Danaïdes
Toujours vide et rongé de soif et de rancœur.

Les parfums ténébreux et les parfums splendides
Émanés de nos corps nous environneront