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Page:Mouhot - Voyage dans les royaumes de Siam, de Cambodge, de Laos et autres parties centrales de l'Indo-Chine, éd. Lanoye, 1868.djvu/30

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coupent ses îlots chargés de huttes sales et misérables, blessant l’œil autant que l’odorat. Quant à la population de cette royale cité, — population dont il est presque impossible de savoir le chiffre exact, vu l’imperfection des recensements orientaux, mais qui grouille certainement, au nombre de trois ou quatre cents milliers de créatures, dans un espace où cinquante mille Français auraient peine à se mouvoir et à respirer, — bien loin de rappeler en quoi que ce soit le type angélique, tel du moins que nous nous le représentons d’après les traditions artistiques et religieuses, elle forme certainement un des groupes sociaux les plus énervés au physique et au moral qui existent sur ce globe sublunaire.

Pendant dix longues années, j’ai séjourné en Russie ; j’y ai été témoin des effets affreux du despotisme et de l’esclavage. Eh bien ! ici j’en vois d’autres résultats non moins tristes et déplorables. À Siam, tout inférieur rampe en tremblant devant son supérieur ; ce n’est qu’à genoux ou prosterné et avec tous les signes de la soumission et du respect qu’il reçoit ses ordres. La société tout entière est dans un état de prosternation permanente sur tous les degrés de l’échelle sociale : l’esclave devant son maître, petit ou grand, celui-ci devant ses chefs civils, militaires ou religieux, et tous ensemble devant le roi. Le Siamois, si haut placé qu’il soit, dès qu’il se trouve en présence du monarque, doit demeurer sur ses genoux et sur ses coudes aussi longtemps que son divin maître sera visible. Le respect au souverain ne se borne pas à sa personne, mais le palais qu’il habite en réclame une part ; toutes les fois