Aller au contenu

Page:Multatuli - Max havelaar, traduction Nieuwenhuis, 1876.djvu/360

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des injures à la face d’une jeune fille ? Et chacun, à Badour, apprenant que je suis mort à l’étranger, ne s’écriera-t-il pas : c’est bien fait, il n’avait pas besoin d’insulter Adenda ! »

Ainsi couraient ses pensées, entraînées par un courant tout autre que celui de sa première exaltation ; se traduisant d’abord en monosyllabes à moitié articulés, elles finirent par dégénérer en une sorte de mélopée douloureuse.

Tout d’abord je me suis vu sur le point de les astreindre à la rime, et à la mesure, mais, comme le pense Havelaar, je crois que nous pouvons nous dispenser de les étouffer dans ce corset incommode.

Voici ce qu’elles chantaient à voix basse :


» Je ne sais où je mourrai.
J’ai vu la grande mer, du côté du sud, où du sud, où je suis allé avec mon père pour faire du sel.
Si je meurs sur la mer, et que l’on jette mon corps dans l’eau profonde, les requins accourront.
Ils nageront autour de mon cadavre, et se demanderont : lequel d’entre nous va dévorer le corps, qui descend, là-bas, tout au fond de l’eau ? Je ne les entendrai pas….


» Je ne sais où je mourrai.
J’ai vu brûler la maison de Pa-ansou. Il l’avait incendiée lui-même, dans un moment de révolte où il voyait tout en rouge.
Si je meurs dans une maison en flammes, des poutres enflammées tomberont sur mon cadavre.
Et sur la place, au dehors il y aura une foule de curieux qui, tout en criant : au feu ! jetteront de l’eau pour éteindre l’incendie.
Je ne les entendrai pas.


» Je ne sais où je mourrai.
J’ai vu tomber du haut d’un cocotier le petit Siounah, qui voulait cueillir une noix de coco pour sa mère !