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Page:Mummery - Mes escalades dans les Alpes.djvu/125

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LA TEUFELSGRAT

petites falaises, et la nuit, noire comme de l’encre au point de ne rien laisser voir, nécessitaient cette précaution. Nous descendîmes comme s’écroule un château de cartes. Burgener tombant en arrière et me repoussant, et moi repassant le choc derrière moi aux autres. Cette façon d’avancer nous prend jusqu’à 11 h. soir, quand soudain nos guides s’arrêtent et nous demandent, en un chuchottement de terreur, si nous pouvons voir une petite lumière, là sur la droite ? Avec un mouvement de joie, je réponds : « Oui, ce doit être un chalet. » Mon avis est traité avec un silence méprisant. « Alors qu’est-ce que cela peut être ? » Sur un ton d’enterrement, Burgener répond : « Je n’en sais rien ; » mais Andenmatten chuchotte timidement : « les Esprits. » À partir de ce moment, je compris que nous n’aurions pas le feu promis ; que nous serions heureux si nous arrivions à nous glisser sous le couvert d’un rocher pour nous abriter contre l’orage qui menaçait une fois encore d’éclater sur nos têtes.

Quelques pas plus loin, un gros objet noir se dresse devant nous. À l’examen nous reconnaissons que ledit objet peut nous offrir une place convenable pour passer le peu d’heures de nuit qui restent. En cinq minutes les guides ronflaient paisiblement ; mais nous, après avoir secoué l’eau de nos habits trempés, nous fûmes réduits à exécuter diverses danses de guerre avec le fallacieux espoir de nous réchauffer. Lorsque ces exercices devinrent par trop fatigants, nous nous mîmes à guetter le jeu des éclairs autour des pics et des arêtes, et finalement nous réveillâmes les guides avec un piolet et nous les pressâmes de continuer la descente. Ils n’approuvèrent pas du tout cette manière de faire, car ils considéraient leur bivouac comme luxeux et éminemment propre à entretenir un sommeil rafraîchissant. Les deux heures suivantes