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Page:Mummery - Mes escalades dans les Alpes.djvu/370

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QUELQUES COLS CAUCASIENS

les arrimer dans la plus absolue sécurité. Les nerfs tendus pour l’effort final il se confie à la falaise. Il parvient à descendre assez aisément ; et pourtant il ne repousse pas ma main tendue, à l’arrivée dans la cheminée, indication d’une modestie rare chez les montagnards professionnels.

Grâce à ce que toute la place disponible est occupée par les sacs, les piolets, les burkas, les bottes et le reste, je suis obligé de suivre le Tartare en bas de la fissure pour donner à Zurfluh le moyen de s’asseoir et de mettre ses bottes. Je prends donc le sac du Tartare et je commence la descente, très encouragé par les assurances joyeuses que la fissure est « ganz leicht » « tout à fait facile ». Mais je trouve bientôt que le sac bombe tellement qu’il est impossible de descendre face en avant. Une tentative pour aller face au rocher se montre également périlleuse. La grosseur du sac fait qu’il est complètement impossible de regarder par dessus l’épaule la saillie suivante, et son poids est tellement lourd que les exigences de l’équilibre excluent toute possibilité de s’éloigner assez pour voir entre soi et la falaise. Me retournant une autre fois, je vois le Tartare, en dessous de moi, sur une corniche commode, me donnant une représentation de pantomime, suggestive de la rapidité des corps tombant dans l’air libre, ou encore des conditions de l’écrasement produit par la rencontre soudaine de l’organisme humain avec le roc dur ou la glace vive. Dès qu’il me paraît possible de jeter le sac en bas, sur la corniche où est le Tartare, je me détermine à risquer le coup. Alors, glissant mes bras hors de l’esclavage de ses détestables courroies, et, sourd aux supplications urgentes, je peux même dire aux larmes d’en haut, je confie le précieux sac aux tendres soins des lois de la gravitation. Le sac arrive à la