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Page:Mummery - Mes escalades dans les Alpes.djvu/383

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DE L’ALPINISME

prétends pas pouvoir analyser ces sentiments, encore moins les faire saisir aux philistins. Il faut les avoir sentis pour les comprendre ; ils font circuler le sang dans les veines, ils détruisent le cynisme jusqu’à ses dernières traces, ils coupent dans sa racine même le pessimisme, et partant ils rendent heureux.

Ceux qui nous critiquent répètent en substance, assez bizarrement, le vieux reproche de Ruskin[1], à savoir que nous regardons les montagnes comme des mâts de cocagne plus ou moins graissés. Je dois avouer que le piquant de ce reproche n’arrive pas à pénétrer l’épaisseur naturelle et incurable de l’épiderme de mon intelligence. Mettons de côté, si vous voulez bien, la question de graisse, qui est malpropre, et qui serait par trop. horrible à contempler sur le drap de nos culottes — et dont les traces même seraient pires que les effets destructeurs des lames et des esquilles de roc de l’arête du Grépon, — ceci dit, je ne perçois pas l’énormité, disons le crime, qu’il y a à escalader le mât lui-même. Dans le temps, je dois le confesser, je prenais grand plaisir à cet art, et, autant que j’en puis juger, le goût en est encore largement répandu parmi la jeunesse anglaise. Il est possible, il est même probable, qu’une bonne part du plaisir de l’alpinisme vienne de l’effort physique lui-même et du parfait état de santé que procure cet effort à ceux qui s’y vouent ; et, l’on peut, jusqu’à un certain point, prétendre assez plausiblement qu’il est la conséquence simple et le développement même des grimpades de notre jeunesse sur les mâts et sur les arbres. Le piquant du reproche se cache probablement sous la supposition que le grimpeur est incapable

  1. John Huskin, dans son splendide ouvrage, Modern Painters, a consacré son vol IV (dernière édition, in-8, de XII-435 p., avec magnifiques illustrations, London 1896). à la Beauté des Montagnes. Ce livre peu connu en France, n’est pas traduit et mériterait de l’être. — M. P.