Aller au contenu

Page:Mummery - Mes escalades dans les Alpes.djvu/387

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
297
DE L’ALPINISME

peut admettre que la montagne pousse quelquefois les choses un peu trop loin, et apporte à ses fidèles une vision de l imminence de la mort que le bourreau lui-même, avec son accompagnement d’échafaud, de potence et de bascule, arriverait difficilement à surpasser. Mais, si farouches et désespérantes que puissent parfois paraître les grandes falaises alors que le crépuscule baisse, que les dernières lueurs sont chassées par le vent et la neige hurlants et que les furies chevauchent follement les arêtes, on a toujours le sentiment que de braves compagnons et un courage sans défaillance seront suffisants pour déchirer la toile croissante du danger, forsan et hœc olim meminisse juvabit.

La sensation d’indépendance et de confiance en soi que nous donnent les grands précipices et les vastes champs de neige silencieux a quelque chose d’absolument ravissant. Chaque pas apporte la santé, la fantaisie et la gaîté. Les embarras et les soucis de la vie, et aussi la vulgarité essentielle à toute société ploutocratique, sont laissés bien loin en bas, miasmes délétères répandus dans les bas-fonds des vallées fumeuses. Au dessus, dans l’air limpide, où la lumière pénètre tout, les hommes vont de pair avec les dieux, ils peuvent se connaître et savoir ce qu’ils valent. Aucun sentiment ne peut être plus beau que celui que l’on ressent en marchant, avec « des camarades inébranlables comme les fondateurs de notre race », à l’attaque de quelque muraille décharnée et précipitueuse. Rien ne peut vous être plus agréable que de sentir que de vos doigts, d’une seule de vos mains vous suffisez à assurer l’existence de toute une caravane, que vos jarrets sont fermes et demeurent inaccessibles à tout tremblement de frayeur, même si c’est grâce à la morsure d’un seul clou que vous êtes