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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Œuvres posthumes.djvu/149

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Pensons-y ; le temps presse, et je n’ai qu’en instant.
L’occasion m’appelle, et le hasard m’attend.
De cette trahison que faut-il que je fasse ?
Galsuinde a ses raisons pour me céder la place.
L’heure en était venue, elle l’a bien compris ;
Elle a peur, l’Espagnole, et se sauve à tout prix.
Dès demain, si je veux, cette fuite soudaine
De ce palais désert me laisse souveraine ;
Ces portiques, ces murs, ces plaines sont à moi ;
Ce soir, j’y reste seule avec l’ombre d’un roi.
Que fera ma rivale ? Elle court en Espagne ;
Jusques à la frontière un vieillard l’accompagne ;
La honte la précède, et le mépris la suit ;
On la croira chassée, en voyant qu’elle fuit.
Que peut-elle ? pleurer dans les bras de son père,
Faire de ses chagrins un récit à sa mère ;
Peut-être pour sa cause armer quelques soldats,
Qui tireront l’épée et ne se battront pas ;
Chercher d’autres amours, et sur les bords du Tage
Promener les langueurs d’un précoce veuvage ;
J’en ai presque pitié, nuls dangers, nuls témoins ;
Qu’elle parte ! après tout, c’est un crime de moins.

Mais que dis-je ? Le roi l’a-t-il répudiée ?
Non. Absente demain, sera-t-elle oubliée ?
Elle part, mais le cœur plein d’un mortel affront,
La pourpre sur l’épaule et la couronne au front ;
Et moi, qui par faiblesse épargne une victime,