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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Œuvres posthumes.djvu/163

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trois fois plus que ce qui est dit ; c’est au lecteur à suppléer le reste, selon ses idées, sa force, ses goûts.

Parlons de la mélodie. Tout le monde la sent, depuis les loges de la Scala où les femmes se balancent sous les girandoles, jusqu’aux échaliers de la Beauce où les bœufs s’arrêtent quand un pâtre siffle. Là est, avant tout, la passion du poète. La poésie est si essentiellement musicale, qu’il n’y a pas de si belle pensée devant laquelle un poète ne recule si la mélodie ne s’y trouve pas, et, à force de s’exercer ainsi, il en vient à n’avoir non seulement que des paroles, mais que des pensées mélodieuses. Pour celui qui écrit en prose, il y a bien, si l’on veut, une sorte de goût qui évite les dissonances, et une certaine recherche de la grâce qui groupe les mots le plus proprement possible ; mais, si cette recherche et ce goût préoccupent seulement un peu trop l’écrivain, c’est une puérilité qui ôte le poids à la pensée. Un mot suffit pour le prouver : la prose n’a pas de rythme déterminé, et sans le rythme la mélodie n’existe pas. Or, du moment qu’un moyen qu’on emploie n’est pas une condition nécessaire pour arriver au but qu’on veut atteindre, à quoi bon ? Que dirait-on d’un homme qui, ayant une affaire pressée, s’imposerait l’obligation de ne marcher dans les rues qu’en faisant des pas de bourrée comme un danseur ? C’est à peu près là ce que fait le prosateur qui cadence ses mots ; car lui aussi a une affaire pressée, c’est de dire ce qu’il pense, et non autre chose. Le poète, au