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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Œuvres posthumes.djvu/283

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point amoureux, je ne fais rien, rien ne me rattache ici. Je donnerais ma vie pour deux sous, si, pour la quitter, il ne fallait point passer par la mort.

Voici les tristes réflexions que j’entretiens. Mais j’ai l’esprit français, je le sens. — Qu’il arrive une jolie femme, j’oublierai tout le système amassé pendant un mois de misanthropie. — Qu’elle me fasse les yeux en coulisse, et je l’adorerai pendant, — au moins pendant six mois. — L’âge me mûrira, j’espère, car je suis bon à jeter à l’eau.

Je donnerais vingt-cinq francs pour avoir une pièce de Shakspeare ici en anglais. Ces journaux sont si insipides, — ces critiques sont si plats ! Faites des systèmes, mes amis, établissez des règles ; vous ne travaillez que sur les froids monuments du passé. Qu’un homme de génie se présente, et il renversera votre échafaudage ; il se rira de vos poétiques. — Je me sens, par moments, une envie de prendre la plume et de salir une ou deux feuilles de papier ; mais la première difficulté me rebute, et un souverain dégoût me fait étendre les bras et fermer les yeux. Comment me laisse-t-on ici si longtemps ! J’ai besoin de voir une femme ; j’ai besoin d’un joli pied et d’une taille fine ; j’ai besoin d’aimer. — J’aimerais ma cousine, qui est vieille et laide, si elle n’était pas pédante et économe.

Je t’écris donc pour te faire part de mes dégoûts et de mes ennuis. Tu es le seul lien qui me rattache à quelque chose de remuant et de pensant ; tu es la seule