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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Œuvres posthumes.djvu/312

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ma marraine sera à son tour dessiné à la mine de plomb sur son propre tombeau, on écrira au-dessous

ÉPITAPHE D’UN INCONNU :

« Ci-gît, un homme qui a été à l’Opéra-Comique le 30 juillet 1840. Il avait l’idée d’y aller le 28 ; mais le théâtre était fermé à cause des fêtes, c’est pourquoi il s’y est rendu le surlendemain. Il s’est mis dans une avant-scène fort sombre, où il était tout seul. Et il a aperçu en face de lui, — à peu près, — une jeune femme brune. C’était la seconde fois de sa vie qu’il allait à l’Opéra-Comique ; et il lui est impossible d’expliquer pourquoi, ayant ce théâtre en horreur, il lui avait pris, dès le 28, une telle envie d’y aller, que le 30 il a emprunté à monsieur son frère de quoi s’y rendre, ne devant avoir d’argent que le lendemain. Et dans cette avant-scène qui est énorme, s’ennuyant fort tout seul, il a regardé dans la salle, et il a cru reconnaître dans une loge cette même jeune fille brune ; mais il lui a été impossible de croire que ce fût elle, vu qu’il la croyait engagée à Milan pour l’Automnino, c’est-à-dire la fin d’août. Sortant de là, et fort ému, il a rencontré par la pluie battante un capitaine avec lequel il était fort lié. Ce capitaine lui a affirmé qu’il avait, peu de jours auparavant, rencontré cette même brune à Paris, et qu’ainsi donc c’était bien elle, et non pas une hallucination produite par la musique. Et alors l’infortuné est