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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Œuvres posthumes.djvu/53

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de 1845. Il se rendit dans les Vosges, où son oncle Desherbiers occupait une sous-préfecture[1]. Il demeura quelque temps à Épinal, puis à Plombières, parcourut les montagnes, et s’en alla de ville en ville. Trois mois hors de Paris, c’était beaucoup pour lui : il y revint en août.

Un jour, étant en visite chez une femme du grand monde, entraîné par l’occasion et le tête-à-tête, il eut avec elle une conversation si intéressante et si animée, qu’il en voulut écrire la relation exacte en rentrant chez lui. Cette relation n’est autre chose que le proverbe : Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée, auquel l’avenir réservait un succès de théâtre dont l’auteur n’avait pas le moindre soupçon. Ces moments où la réalité se fait artiste ne se présentent pas souvent dans la vie, mais ce sont des bonheurs qui arrivent volontiers aux poètes. Quatre mots ajoutés en manière de dénoûment suffirent pour changer une causerie mondaine en comédie, et, par la force de l’habitude, cette comédie prit le chemin de la Revue des Deux Mondes, où elle passa presque inaperçue.

Depuis la mort du duc d’Orléans, il y avait en toutes chose une sorte de langueur et d’atonie. Je ne sais si Lamartine eut raison de dire en ce temps-la que la France s’ennuyait. Mais Alfred de Musset trouvait ce mot d’une vérité lamentable. Il s’en voulait a lui-même d’être né dans ce siècle de transition, au milieu d’une génération distraite, sans autre passion que celles de l’argent, de l’agiotage et de

  1. M. Desherbiers était un homme d’un grand mérite, d’une instruction profonde et d’un goût sévère. Son neveu le consulta souvent. Il aimait tendrement Alfred de Musset, auquel il survécut deux ans.