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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/114

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sine comptait sur ses doigts. Camille, comprenant qu’on se trompait, et voulant aider, étendit ses deux mains ouvertes. On lui avait donné, à elle aussi, les premières et les plus simples notions ; elle savait que deux et deux font quatre. Un animal intelligent, un oiseau même, compte d’une façon ou d’une autre, que nous ne savons pas, jusqu’à deux ou trois. Une pie, dit-on, a compté jusqu’à cinq. Camille, dans cette circonstance, aurait eu à compter plus loin. Ses mains n’allaient que jusqu’à dix. Elle les tenait ouvertes devant sa petite amie avec un air si plein de bonne volonté, qu’on l’eût prise pour un honnête homme qui ne peut pas payer.

La coquetterie se montre de bonne heure chez les femmes : Camille n’en donnait aucun indice. — C’est pourtant drôle, disait le chevalier, qu’une petite fille ne comprenne pas un bonnet ! À de pareils propos, madame des Arcis souriait tristement. — Elle est pourtant belle ! disait-elle à son mari ; et en même temps, avec douceur, elle poussait un peu Camille pour la faire marcher devant son père, afin qu’il vît mieux sa taille, qui commençait à se former, et sa démarche encore enfantine, qui était charmante.

À mesure qu’elle avançait en âge, Camille se prit de passion, non pour la religion, qu’elle ne connaissait pas, mais pour les églises, qu’elle voyait. Peut-être avait-elle dans l’âme cet instinct invincible qui fait qu’un enfant de dix ans conçoit et garde le projet de prendre une robe de laine, de chercher ce qui est pauvre et ce qui souffre,