Aller au contenu

Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/125

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dont Dieu seul connaît la cause ; je m’éloigne pour quelques jours du lieu où je souffre. Le changement, le voyage, la fatigue même, calmeront peut-être mes ennuis ; je vais m’occuper de choses matérielles, importantes, nécessaires ; je reviendrai le cœur plus tranquille, plus content ; j’aurai réfléchi, je saurai mieux ce que j’ai à faire. — Cependant Cécile va souffrir, se disait-il au fond du cœur. Mais, son parti une fois pris, il continua sa route.

Madame des Arcis avait quitté le bal vers onze heures. Elle était montée en voiture avec sa fille, qui s’endormit bientôt sur ses genoux. Bien qu’elle ignorât que le chevalier eût exécuté si promptement son projet de voyage, elle n’en souffrait pas moins d’être sortie seule de chez ses voisins. Ce qui n’est aux yeux du monde qu’un manque d’égards devient une douleur sensible à qui en soupçonne le motif. Le chevalier n’avait pu supporter le spectacle public de son malheur. La mère avait voulu montrer ce malheur pour tâcher de le vaincre et d’en avoir raison. Elle eût aisément pardonné à son mari un mouvement de tristesse ou de mauvaise humeur ; mais il faut penser qu’en province une telle manière de laisser ainsi sa femme et sa fille est une chose presque inouïe ; et la moindre bagatelle en pareil cas, seulement un manteau qu’on cherche, lorsque celui qui devrait l’apporter n’est pas là, a fait quelquefois plus de mal que tout le respect des convenances ne saurait faire de bien.