Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/32

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tout l’éclat de sa nonchalante beauté, on aurait pu la prendre pour une belle somnambule qui traversait ce monde en rêvant.

Tant d’indifférence et de coquetterie ne semblait pas aisé à comprendre. Les uns disaient qu’elle n’aimait rien ; les autres, qu’elle n’aimait qu’elle-même. Un seul mot suffisait cependant pour expliquer son caractère : elle attendait. Depuis l’âge de quatorze ans, elle avait entendu répéter sans cesse que rien n’était aussi charmant qu’elle ; elle en était persuadée ; c’est pourquoi elle prenait grand soin de sa parure : en manquant de respect à sa personne, elle aurait cru commettre un sacrilège. Elle marchait, pour ainsi dire, dans sa beauté, comme un enfant dans ses habits de fête ; mais elle était bien loin de croire que cette beauté dût rester inutile ; sous son apparente insouciance se cachait une volonté secrète, inflexible, et d’autant plus forte qu’elle était mieux dissimulée. La coquetterie des femmes ordinaires, qui se dépense en œillades, en minauderies et en sourires, lui semblait une escarmouche puérile, vaine, presque méprisable. Elle se sentait en possession d’un trésor, et elle dédaignait de le hasarder au jeu pièce à pièce : il lui fallait un adversaire digne d’elle ; mais, trop habituée à voir ses désirs prévenus, elle ne cherchait pas cet adversaire ; on peut même dire davantage, elle était étonnée qu’il se fît attendre. Depuis quatre ou cinq ans qu’elle allait dans le monde et qu’elle étalait consciencieusement ses paniers, ses falbalas et ses belles