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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/55

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pas assez que j’aie devant les yeux l’affreuse couleur de tes sottes plumes qui te donnent l’air enfariné comme un paillasse de la foire ? Si je n’étais le plus pacifique des merles, je t’aurais déjà cent fois mis à nu, ni plus ni moins qu’un poulet de basse-cour prêt à être embroché.

— Eh bien ! m’écriai-je, révolté de l’injustice de mon père, s’il en est ainsi, monsieur, qu’à cela ne tienne ! je me déroberai à votre présence, je délivrerai vos regards de cette malheureuse queue blanche, par laquelle vous me tirez toute la journée. Je partirai, monsieur, je fuirai ; assez d’autres enfants consoleront votre vieillesse, puisque ma mère pond trois fois par an ; j’irai loin de vous cacher ma misère, et peut-être, ajoutai-je en sanglotant, peut-être trouverai-je, dans le potager du voisin ou sur les gouttières, quelques vers de terre ou quelques araignées pour soutenir ma triste existence.

— Comme tu voudras, répliqua mon père, loin de s’attendrir à ce discours ; que je ne te voie plus ! Tu n’es pas mon fils ; tu n’es pas un merle.

— Et que suis-je donc, monsieur, s’il vous plaît ?

— Je n’en sais rien, mais tu n’es pas un merle.

Après ces paroles foudroyantes, mon père s’éloigna à pas lents. Ma mère se releva tristement, et alla, en boitant, achever de pleurer dans son écuelle. Pour moi, confus et désolé, je pris mon vol du mieux que je pus, et j’allai, comme je l’avais annoncé, me percher sur la gouttière d’une maison voisine.