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Page:NRF 17.djvu/688

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nu. Mon volcan s’affaisse sous les cendres; mon puits s’est comblé ; mon arbre a séché. Je suis indigent, dénué, vieux d’âme sinon de corps. La puissance d’illusion, d’enchantement, de création, d’éloquence, le feu sacré, l’enthousiasme, le talent, le stimulus générateur, le charme, le prestige, le diable au corps, l’élan, tout cela s’est perdu, dissipé, évaporé, envolé. Ma mémoire est dépouillée, mon cerveau stérile, mon cœur aride, ma force consumée, mon courage aboli, mon imagination usée, mon âme abattue et solitaire. Je me sens inutile, misérable, impuissant, et muré dans mon impuissance, sans pouvoir fuir, ni me cacher, ni oublier. Le brouillard gris, froid et morne qui enveloppe à cette heure notre ville n’est pas plus triste que les pensées de mon cœur. Une femme qui sent mourir son fruit dans ses entrailles, sent aussi la vie comme l’abandonner elle-même. Quelque chose aussi en moi est mort, c’est l’espérance, et ce mal intérieur est la source de tous mes maux : apathie, énervement, découragement, désabusement, lâcheté, indifférence, dégoût.

« Il n’est pas bon que l’homme soit seul ! » — Tu t’enfermes trop avec toi-même, par ascétisme, orgueil, habitude ou curiosité. Tu as besoin de Dieu et des hommes pour conserver la santé de l’âme. Tu le sais, mais tu l’oublies. Tu rougis, tu te caches et tu boucles ta cuirasse. Mauvais moyen : pourquoi y reviens-tu donc toujours ? par lassitude et par défiance. Vivre c’est lutter, vivre c’est se confier. Or l’effort fatigue et l’expérience détache. Tout casse, tout passe, tout lasse, et l’on cesse de s’éprendre pour n’avoir plus à se méprendre ou à se déprendre. Surtout l’on se dégoûte de soi-même. Or l’on oublie que la vie est une épreuve, que Dieu est là, que le bonheur n’est pas la chose essentielle, que l’on ne peut donner sa démission de la vie, que le désespoir est un péché et une révolte.

Rappelle-toi Noël !

Rachète le temps. Ceins tes reins. Obéis. Supporte. Surtout combats contre toi-même, contre ton fatal instinct