Aller au contenu

Page:NRF 17.djvu/94

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

88 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

personnalité liquide ou gazeuse, ne séduira nullement ceux qui se plaisent dans le monde des solides, dans un monde de per- sonnes qui ont leurs barrières, leurs limites, leur intérieur invio- lable et profond. Si j'étais capable de posséder le monde, c'est qu'il ne serait qu'une bien pauvre chose, et qui ne vaudrait guère la peine d'être possédé.

M. Romains part de ce sentiment intense et sincère que l'indi- vidu n'existe pas, ou tout au moins que l'artiste n'est pas en tant qu'artiste intéressé par sa propre existence. M. Duhamel part au contraire d'un sentiment exigeant de son existence et d'une volonté d'annexion non par la violence mais par l'amour, un amour auquel il ne manque, tant dans Vie des Martyrs que dans Possession du Monde, que la discrétion. « A Dieu ne plaise, diront certains, que je sois jamais aimé comme cela ! M. Du- hamel ne m'aura pas. Et je crois que M. Romains ne m'aura pas non plus. » M. Duhamel est un sentimental, un descendant de Rousseau, et qui voudrait avoir les âmes par l'amour. Mais M. Romains est un intellectuel, un petit-fils de Voltaire, qui prétend les avoir, entre autres moyens, par la mystification.

Loin de ce mot tout le contenu péjoratif dont le chargent les gens intoxiqués de sérieux ! 11 n'y a pas de religion, pas de jus- tice, pas de forme d'art qui ne comporte une part de mystifica- tion. Celui qui refuse de se laisser mystifier ne saurait par exemple fréquenter le théâtre. D'autre part c'est une marque de faiblesse d'esprit que de voir de la mystification dans tout ce qui paraît singulier et obscur. Sarcey est mort dans la conviction que M. Barrés ne s'était dans V Homme Libre rien proposé d'autre que de mystifier ses lecteurs. Mallarmé passa généralement pour un mystificateur. Baudelaire ayant volontiers pratiqué la mystification, Brunetière en conclut que les Fleurs du Mal avaient été écrites pour mystifier les gens. Ne risquerions-nous pas de paraître aussi superficiel en plaçant cette étiquette sur l'œuvre de M. Romains ?

Aussi ne l'y plaçons-nous pas. La mystification n'est qu'un des moyens dont a usé, dans quelques œuvres, M. Romains, mais il en a usé en grand artiste, pour ces deux raisons qui n'en font qu'une, que d'abord il possède le génie de la mystifi- cation, et ensuite que la mystification figure un des ressorts indispensables de l'unanimisme.

�� �