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rechercherai les vieux métiers à main, dans les villages. J’en ferai construire sur ces anciens modèles. Un charron y réussit très bien. Je veux être premier à remonter mon usine et je serai facile sur le prix de ma force motrice si vous me raccourcissez le délai de livraison. Mais je ne laisserai pas mes ouvriers chômer jusqu’à son installation. Avant la vapeur et l’électricité les hommes ont tissé à main. Ceux des campagnes autour d’ici n’en ont jamais complètement perdu l’habitude. Dans le Bailleulais pour les gros articles, dans le Cambrésis pour les articles fins, on donnait aux tisseurs à main les plus mauvais fils, car travailler en usine de la marchandise de dernière qualité coûte cher. La trame casse souvent, on perd du temps aux rattachages, la production diminue et les frais généraux restent les mêmes ; tandis que le temps d’arrêt du tisseur à domicile ne coûte rien au patron qui paie au mètre.

Je vais refaire le vieux métier et donner à tisser à main du très bon fil pour que beaucoup de métrage tombe vite du métier et que les ouvriers soient contents. »

M. Somin trouvait cela regrettable. Vendeur de machines motrices il n’aimait que les grandes gesticulations mécaniques. La dévotion aux vieilles formes du travail n’agréait pas à son amour de construire de grands moteurs. Il plaignait M. Delrue d’être obligé de revenir à de si vieilles idées.

« C’est un malheur, disait l’ingénieur, un grand malheur. »

Il continua sa tournée et vit des usines autrefois animées par trois cents ouvriers et qui étaient devenues des lieux sauvages. Il y pénétrait à sa guise. Marchant sur des gravats mêlés de ferraille, il allait d’abord à la place de la machine. Dans un tissage de toile il tomba deux fois en franchissant de hauts décombres. Lui si soigneux de se présenter correctement vêtu aux clients, se salissait abondamment par la poussière blanche du plâtre et celle rouge des