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Page:NRF 19.djvu/269

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PAUL VALÉRY, POETE 267

portés tous à la fois dans notre esprit ; un parallélisme les gagne, une sorte de symétrie ; nous ne passons plus des uns aux autres » ils ne se joignent que par la racine et elle est ailleurs qu'en nous.

Voici mes vignes ombreuses, Les berceaux de mes hasards ! r

L'art — inégalable d'ailleurs — de Valéry est de réserver des emplacements, de créer pour la pensée qui va naître des berceaux où elle se trouvera abritée, encadrée. Mais comme il ne la connaît pas à l'avance, ni ses dimensions, ni même sa forme exacte, il est obligé de lui laisser un certain jeu. De là, par moments, ces mots abstraits qui viennent se placer les uns auprès des autres, sans se préciser mutuel- lement et comme si chacun voulait garder l'entière et vague provision de tous ses sens pour faire face à des éventualités imprévues.

Etre !... Universelle oreille !

Toute l'âme s'appareille

A l'extrême du désir 2 ...

De là aussi ces vocatifs continuels, si souvent délicieux, mais qui ne sont qu'un appel que l'esprit lance à son propre futur encore indeviné.

En d'autres termes, le hasard, chez Valéry, ne me paraît pas toujours assez exactement conjuré. La dépense inouïe que fait le poète, d'intuition verbale, la finesse incomparable avec laquelle il palpe, ausculte et choisit les mots selon leurs vertus les plus secrètes, n'arrivent pas toujours à remplacer cette élection naturelle qui se ferait entre eux s'il les employait à traduire quelque sentiment. Pour mieux débrouiller certaines équivalences, il aurait besoin parfois d'être affecté plus fortement. Les « ébranlements » qu'il subit sont souvent trop « doux », trop indistincts.

1 . Aurore, p. 9.

2. Ibid, p. 9.

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