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Page:NRF 19.djvu/288

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286 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

penser ! Sans quoi la nuit tombe sur tout entendement. A peine arrivé dans un village, de nouveau partir. « Plus, plus loin, en arrière. » Voix : « Ces Français avan- cent, il faut reculer encore ! — Est-il vrai que nous abandonnons toutes nos positions ? Aussi l'Argonne ? Aussi Reims ? Quelle folie ! — Hautes mesures straté- giques. — Et combien de temps encore voulez-vous nous cacher la vérité ?» — Les communications télépho- niques sont coupées. Je vais... je vais... je vais...

La route est boueuse. Autour de chaque arbre un trou s'est creusé, plein d'eau. Le vent froid siffle à travers des espaces incultes. Les sabots de mon cheval glissent et patau- gent dans le sol humide. « En arrière, en arrière ! »

Sur la chaussée des autos font hurler leurs sirènes, tout le long des fourgons à bagages. « Dégagez la voie, dégagez la voie. » C'est le signal éternellement renouvelé. Un trou- peau de moutons bêle égaré parmi nous. Les arbres sifflent, échevelés, sous les rafales de vent intermittentes et brus- ques. Des masses épaisses de nuages noirs passent, chas- sées, au-dessus de ma tête. Comme un déluge elles se déli- vrent de l'horizon. Elles viennent de France !. Elles viennent, noires !

Yeux-tu nous saisir ? Veux-tu nous saisir ? Qui dévoilera le sens de ce retour ? Qui, qui, qui ? Oh ! que je sois frappé d'oubli ! Que ceci au moins soit épargné à mes songes...

FRITZ VON UNRUH

Traduction de Jacques benoist-méchin.

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