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Page:NRF 19.djvu/311

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SILBERMANN 5°9

l'obscurité, je surveille les allées et venues dans la rue. Tenant des mains les barreaux de fer dont le froid me glace, je jure de ne desserrer les doigts que quand Silber- mann apparaîtra et pour me précipiter vers lui. Chaque ombre, chaque voiture qui passe, me font tressaillir. Les heures s'écoulent. La nuit est tout à fait tombée. Enfin, les mains engourdies, épuisé de fatigue, je rentre chez moi, me reprochant rudement ce manque de fermeté. Mes parents, après m'avoir attendu longtemps, se sont mis à table et achèvent de dîner. Est-ce réellement moi pour qui la règle du foyer fut toujours un évangile, qui rentre de la sorte, le visage hagard et sans un mot d'excuse ? Est-ce moi, si épris des traits sereins de ma mère, qui les laisse ainsi désolés par l'anxiété et la peine ? Est-ce moi, si respec- tueux envers mon père et si soumis, qui repousse sa demande d'explications avec un tel accent que mon père, décontenancé, bat en retraite ?

Oui, ces scènes furent réelles ; mais elles avaient comme la teinte du rêve ou plutôt il me semblait qu'elles s'enchaînaient hors de ma volonté. Et tout se présentait, ce soir-là, sous une apparence si nébuleuse que, regardant droit devant un miroir et apercevant un visage farouche et des yeux enfiévrés, je crus me trouver dans ma chambre d'Aiguesbelles, en face du portrait de mon oncle, l'étrange missionnaire en révolte contre sa famille.

Dix jours passèrent pendant lesquels je n'eus aucune nouvelle de Silbermann. J'avais peu de renseignements sur l'affaire de son père ; je savais seulement, par les journaux, que l'instruction se poursuivait et que mon père avait convoqué plusieurs témoins. Enfin, au bout de ce temps, je reçus une lettre de lui. Il m'offrait un rendez-vous, me fixait la date, et il ajoutait : « Je pars le lendemain. »

Le lieu qu'il m'avait indiqué était près de sa maison.

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