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334 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

bismarckisme, de la dépêche d'Ems et de Sedan. — Ce n'est pas faute d'avoir été avertis ! Quinet, qui était pourtant le contraire d'un germanophobe, avait prédit le rôle de la Prusse. — Pour- quoi l'événement qui s'est produit aurait-il été, avant de se pro- duire, plus probable que celui qui ne s'est pas produit ? Mais enfin la politique est une chose, l'intelligence, la littérature, la philosophie en sont d'autres. Certes les hommes politiques devaient analyser, plus qu'ils ne l'ont fait, la possibilité et surtout les possibilités d'une Allemagne unifiée, et nous avons expié leur erreur. Mais l'Allemagne qui a exercé sur nous une influence intellectuelle vivante, par ses artistes eî ses penseurs, n'était pas encore cette Allemagne unifiée. C'était l'expression géographique qui désignait alors les hommes parlant et écrivant l'allemand. M. Reynaud y comprend les Rhénans et la Suisse alémanique. Il regarde Gessner et Haller comme des Allemands. Depuis le xvm e siècle tout se ramène pour lui à un duel véritable entre la culture allemande et la culture française, et il considère comme aveuglés les Français qui n'ont pas eu conscience de ce duel. Il ne veut aucun bien aux bâtisseurs de ponts, à ceux qui ont fait entre la France et l'Allemagne office d'agents de liaison. Il n'emploie pas le mot boche, mais il le remplace par le terme teuton. « Grimm n'a pas encore éliminé son virus teuton. » Il ne paraît pas admettre qu'un étranger puisse apporter quelque profit à la culture française. Traitant les Suisses alémaniques comme des Allemands, il traite les Genevois comme des Suisses alémaniques, et de peuple en peuple nous voyons dans son livre la xénophobie faire tâche d'huile.

Il appelle gallophobe Rousseau, qui pourtant a toujours pro- testé de son amour pour la France. Il estime que « le sentiment national n'existe pas chez M me de Staël, par rapport à notre pays ». Et il lui reproche de « s'afficher à Vienne avec des enne- mis de son pays ». Reproche singulier. Petite-fille d'un Brande- bourgeois, née d'un père genevois et d'une mère suisse, sué- doise par son premier mariage et suisse par son second, M me de Staël n'eut jamais la nationalité française. M. Reynaud l'appelle d'ailleurs fréquemment la Genevoise. Si elle a souhaité, par la chute de Napoléon et la dissolution du Grand Empire, la libé- ration de son pays, nous la voyons tout de même écrire en 1814 à un Russe : « Je ne souhaite point que les alliés aillent à

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