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376 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

M. Jacques Bacot nous avait fait pressentir à quel point cer- taines tendances du drame asiatique (en faisant abstraction de l'Inde) répondaient à nos préoccupationsdes plus récentes. Choi- sissant une scène précise, celle où les brahmanes mendiants enlèvent les enfants que le prince exilé leur abandonne dans un suprême esprit de sacrifice, M. Bacot décrit les évolutions exac- tement stylisées par lesquelles les acteurs savent donner à cet épisode la sauvagerie la plus émouvante. Nous souhaiterions un grand nombre d'autres exemples, car on sent bien que ce théâtre vaut par ses traditions scéniques au moins autant que par ses textes ; malheureusement c'est le seul que nous fournisse M. Bacot. Grâce à MM. Waley et Péri, nous voici renseignés bien plus complètement sur les Nos. Et comme il s'agit d'un art infiniment plus raffiné, poussé à ses extrêmes limites, il ne tiendra qu'à nous d'en tirer un riche enseignement.

Mais qu'on ne s'y méprenne pas : .les Nos sont d'un abord ingrat. Même au Japon, ils ne s'adressent plus qu'à un public lettré. Leur brièveté les condamne à ne jamais former une unité dramatique comprenant toutes les explications nécessaires à l'intelligence du sujet. Les thèmes, empruntés aux chansons de geste ou à l'histoire, sont supposés connus ; une allusion suffit à évoquer le passé des personnages. Les textes sont également trop courts pour comporter de véritables débats dramatiques, des conflits exposés et résolus par les paroles mêmes, car le Nô ne comprend à proprement parler que deux scènes (séparées par un intermède comique) et ne mettent en présence que deux personnages, entourés de comparses peu nombreux et d'un chœur chargé d'expliquer leurs actions. L'auteur est donc réduit à quelques raccourcis pathétiques, à quelques gestes soi- gneusement mis en valeur, Ajoutons à cela qu'il est arrêté par toute sorte de traditions qui brident sa liberté ; le personnnage principal doit toujours être placé à tel endroit, il doit regarder dans telle direction, s'exprimer en vers de tant de syllabes. Enfin à toutes les gênes que ces conventions opposent à nos habi- tudes d'esprit s'ajoutent les élégances verbales de l'original, dont la traduction est incapable de nous faire deviner l'agrément mais où elle reste fâcheusement empêtrée : par exemple ces « mots pivots » fort goûtés des Japonais, calembours formés par le der- nier mot d'une phrase qui sert en même temps de premier mot

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