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LA REGARDER DORMIR

��Même si je n'étais resté qu'un instant hors de ma cham- bre, en y rentrant, je trouvais Gisèle endormie et ne la réveillais pas. Etendue de la tête aux pieds sur mon lit, dans une attitude d'un naturel impossible à inventer, elle avait l'air d'une longue tige en fleur qu'on aurait disposée là, et c'était ainsi en effet. Le pouvoir de rêver que je n'avais qu'en son absence, je le retrouvais en ces instants passés auprès d'elle comme si en dormant elle était devenue un être analogue à un végétal. Par là son sommeil réalisait dans une certaine mesure la possibilité de l'amour; seul, je pouvais penser à elle, mais elle me manquait, je ne la pos- sédais pas. Présente, je lui parlais, mais étais trop absent de moi-même pour pouvoir penser. Quand elle dormait, je n'avais plus à parler, je savais que je n'étais plus regardé par elle, je n'avais plus besoin de vivre à la surface de moi- même. En fermant les yeux, en perdant la conscience, Gisèle avait dépouillé, l'un après l'autre, ses différents caractères d'humanité qui m'avaient déçu depuis le jour où j'avais fait sa connaissance. Elle n'était plus animée que de la vie inconsciente des végétaux, des arbres, vie plus différente de la nôtre, plus étrange et qui cependant m'appartenait davantage. Son moi ne s'échappait pas à tous moments, comme quand nous causions, par les issues de la pensée inavouée et du regard. Elle avait rappelé à soi tout ce qui d'elle était en dehors, elle s'était réfugiée, enclose,

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