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Page:NRF 19.djvu/519

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LA REGARDER DORMIR 5 I 7

prenais sa taille d'un de mes bras, je posais mes lèvres sur sa joue et sur son cœur, puis, sur toutes les parties de son corps, ma seule main restée libre et qui était soulevée aussi comme les perles, par la respiration de la dormeuse; moi-même j'étais déplacé légèrement par son mouvement régulier, je m'étais embarqué sur le sommeil de Gisèle. Parfois il me faisait goûter un plaisir moins pur. Je n'avais besoin pour cela de nul mouvement, je faisais pendre ma jambe contre la sienne, comme une rame qu'on laisse traîner et à laquelle on imprime de temps à autre une oscil- lation légère pareille au battement intermittent de l'aile qu'ont les oiseaux qui dorment en l'air. Je choisissais pour la regarder cette face de son visage qu'on voyait bien rare- ment et qui était si belle. On comprend à la rigueur que les lettres que vous écrit quelqu'un soient à peu près semblables entre elles et dessinent une image assez diffé- rente de la personne qu'on connaît pour qu'elles constituent une deuxième personnalité. Mais combien il est plus étrange qu'une femme soit accolée, comme Rosita et Dodicaa, à une autre femme, dont la beauté différente fait induire un autre caractère, et que pour voir l'une il faille se placer de profil, pour l'autre de face.

Le bruit de sa respiration devenant plus fort pouvait donner l'illusion de l'essoufflement du plaisir et quand le mien était à son terme, je pouvais l'embrasser sans avoir interrompu son sommeil. Il me semblait à ces moments là que je venais de la posséder plus complètement, comme une chose inconsciente et sans résistance de la muette nature. Je ne m'inquiétais pas des mots qu'elle laissait parfois échapper en dormant, leur signification m'était fer- mée, et d'ailleurs quelque personne inconnue qu'ils eussent désignée, c'était sur ma main, sur ma joue, que sa main parfois animée d'un léger frisson se crispait un instant. Je goûtais son sommeil d'un amour désintéressé, apai- sant, comme je serais resté des heures à écouter le déferle- ment du flot. Peut-être faut-il que les êtres soient capables

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