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Page:NRF 19.djvu/57

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ique, déclara tout à coup Stavroguine avec un enthousiasme sauvage. C’est alors seulement, je le sais, que la vision disparaîtra. Voilà pourquoi j’aspire à une souffrance démesurée, je la recherche moi-même. Ne m’effrayez donc pas ou bien je périrai de rage.

Cet élan fut si subit que Tikhon se leva.

— Si vous croyez que vous pouvez vous pardonner vous-même et que vous obtiendrez votre pardon en ce monde par la souffrance, si vous vous posez cette tin en toute sincérité, oh ! alors vous croyez complètement, s’écria avec joie Tikhon. Comment donc avez-vous pu dire que vous ne croyiez pas en Dieu ?

Stavroguine ne répondit pas.

— Dieu vous pardonnera votre manque de foi, car vous vénérez le Saint-Esprit sans le connaître.

— A propos, et le Christ, me pardonnera-t-il ? demanda brusquement Stavroguine sur un tout autre ton et avec un sourire ambigu. Et dans le ton de cette question il y avait une légère nuance d’ironie.

— Il est écrit dans le livre : « Si vous séduisez un de ces enfants... » Vous vous rappelez. D’après l’Evangile il n’y a pas de plus grand crime.

— Vous avez tout simplement une peur affreuse du scandale, père Tikhon, et vous me tendez un piège, prononça Stavroguine d’une voix nonchalante et pâteuse et sur un ton de dépit. — Il parut vouloir se lever. — Pour tout dire, il faudrait pour vous que je fasse une fin, que je me marie même peut-être, que je termine mes jours membre du club et qu’à chaque fête je vienne au couvent. En voilà une pénitence ! N’est-ce pas vrai ? D’ailleurs, en votre qualité de connaisseur du cœur humain il se peut que vous prévoyiez déjà que c’est justement ainsi que les choses vont se passer et qu’il ne s’agit que de me prier instamment, afin de sauver les apparences, car au fond je ne désire que cela, n’est-ce pas vrai ?

Un sourire tordit sa bouche.