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Page:NRF 19.djvu/585

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FINALE DE SIEGFRIED ET LE LIMOUSIN 583

par ses armes les plus vulgaires la maladie parvint à triom- pher de cette enfant.

— Ne parlez pas tant ! disions-nous.

— C'est que je n'ai jamais tant pensé, mes amis... Quelle drôle d'histoire est la vie ! Peut-être personne dans une semaine ne pourra plus parler à la première personne de moi, de mon corps, de mes yeux, et cependant je ne renonce à aucun de mes goûts ; je préfère toujours le jaune aux autres couleurs ; je sens le bleu, le rouge intriguer autour de moi, essayer de m'attendrir, profiter de ma faiblesse, rien à faire ! Je continue à détester jusqu'à la dernière minute les gâteaux secs, le crêpe de Chine, les aigrettes... Pour les animaux et les hommes, au contraire, je n'ai plus de parti pris, plus aucun. Dieu sait si j'ai pu détester les singes, les animaux à langue visqueuse comme le four- milier, les rats ; je les verrais sans ennui entrer maintenant par centaines dans ma chambre ; et aussi d'ailleurs ce pau- vre Bouguereau, et aussi cet hypocrite de Kessler, et Lan- telme, et un grand blond dont je me souviens, mais cela c'est une autre, histoire...

La porte s'ouvrait. Ce n'était ni les fourmiliers, ni les ays, ni le cortège des humains dont la prétention l'aga- çait, des actrices aux députés, ce n'était pas non plus, hélas ! les Bernardo de Rotschild. C'était le docteur avec sa morphine. Il essayait de la faire taire.

— Je me tais. Mais ce grand blond, malgré tout j'y reviens. Une brute, qui croyait tous les autres êtres des brutes, ne les aimant que pour cela, et disparaissant le jour où il doutait de leur brutalité. Que n'ai-je pas commis pour retarder ce jour-là ! Sous ses yeux, je touchais en brute à mes oiseaux, aux verres, à moi-même. Dès que j'étais seule, j'essayais de réparer en embrassant et cares- sant comme je le pouvais ces pauvres objets et cette pauvre femme. Mais cela ne vous intéresse point, Kleist. J'ai des projets sur vous. Voulez-vous que nous fassions l'aveugle et le paralytique? Je n'ai plus rien devant moi, mais j'ai un

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