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Page:NRF 19.djvu/589

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FINALE DE SIEGFRIED ET LE LIMOUSIN 587

tous les personnages liés à elles dans ma mémoire : à Morte- rolles, le père Arouet de Saint-Sauveur, l'athée, qui faisait ses enfants en janvier pour qu'ils naquissent en septembre, mais dont la femme n'avait que des grossesses raccourcies ou prolongées ; à Bessines, le cantonnier, le père Bénoche, qui avait sauvé un colonel en Crimée, un général au Mexique, et dont la vie était ratée, disait-il, car il lui restait à sauver un Maréchal ; au Breuilh-au-fa où l'on prend au filet les saumons, Monsieur Claretie qui avait emmené à la pêche mon père, le jour où il eut juste un mètre, et qui l'étendait près des poissons pour les mesurer. A Droux, où des renards qui mangeaient les baies sous des genévriers effrayèrent mon père quand il regagnait le collège, après les arrières-petits-neveux de ces renards, peut-être, des chiens aboyaient. A Ambazac, où le loup suivit son cheval, je vis en me penchant deux disques vert et rouge, un loup vairon. J'entrais dans le pays le plus légendaire et le plus irréel pour moi après celui de Gul- liver, mais où les hommes avaient ma taille et où le train passait. Tout ce qui a permis de prouver que l'itinéraire de Chateaubriand en Amérique était faux, prouvait que la jeu- nesse de mon père était vraie. Il y avait juste la place entre Fursac et Blond pour la chasse à courre des Lecointe. Je devinais le nom d'arbres et de plantes presque inconnus pour moi, sarrasin, merisiers, genévriers, tant chacun semblait placé ou semé à la place exacte que lui assignait la parole de mon père; et, bien que chaque village offrît à mon regard un tassement nouveau, ce n'était pas sur une contrée nou- velle que j'éparpillais ces noms pour moi usés. Chacun fécondait son district d'une humanité et d'une faune dis- tinctes. Le Breuil, où les Lacôte, nouveaux venus du Bourbonnais, s'étaient brouillés avec les Sillac, qui avaient servi le poulet avec le foie et la tête, et où chez mon cousin Petit vivait un lynx apprivoisé. Rançon, où était empaillé à la mairie un oiseau porte-lyre et où le député auquel mon père donna son premier vote affecta toujours de croire

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