Aller au contenu

Page:NRF 19.djvu/600

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

598 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

claires, la moitié de YJliade, du Nosios, de la Mncsterophonie ou de Y Enéide. Elles sont belles avec vingt-quatre ou douze chants. Elles seraient belles avec quarante-huit ou six. La composition n'est pas une partie essentielle de leur être poétique. Il n'en va pas de même des parties : l'épisode d'Ulysse chez Polyphème, de Priam dans la tente d'Achille, sont des chefs-d'œuvre de composition (dont la leçon ne sera pas perdue pour le drame satyrique et la tragédie). Notons cette différence. Elle nous servira tout à l'heure.

Enfin, quand il s'agit de la poésie lyrique, ce n'est plus la composition qui est érigée en maxime, c'est l'absence de com- position. Il n'est peut-être pas de théorie à laquelle Boileau ait plus tenu que celle du beau désordre en matière de haut lyrisme. Il insiste fortement sur elle dans ses œuvres critiques en prose, et, ce qui est plus grave, il prétend la mettre en pratique dans son Ode sur la prise de Namur. Je sais bien que Brunetière et Faguet ont cru voir que les grandes odes de Lamartine et de Hugo étaient admirablement composées. Je ne crois pas cepen- dant que le mot convienne. La composition, la distribution des matières, le plan, sont, pour un discours ou pour un drame, un travail préparatoire indispensable. Mais pendant qu'un poète lyrique procéderait à cette préparation, l'inspiration l'abandon- nerait ; elle reviendrait ensuite se heurter aux barrières d'un cadre artificiel qui ne serait plus fait pour elle. Elle construit au contraire son plan au fur et à mesure qu'elle se fait, comme l'être vivant construit en grandissant le squelette sur lequel il s'appuie. Il y a évidemment un ordre dans les Révolutions, A celle ijui est restée en France ou le Retour de VEmpereiir, un ordre plutôt qu'un beau désordre ; mais ordre ne signifie pas ici plan : c'est un ordre spontané déposé par l'inspiration, pendant, que s'écri- vait le poème. Et ce serait évidemment abuser des mots que de le comparer à l'ordre d'un sermon de Bossuet ou d'une tragédie de Racine.

Faguet, écrivant sur YOnne du Mail (article recueilli dans les Propos Littéraires), dit que le livre « a ses défauts, qui sont un manque trop absolu, même pour une fantaisie, de composi- tion ». L'éternelle note, à l'encre rouge, qui foisonne sur les copies ! Bienheureux manque de composition, qui nous permet d'ouvrir Y Orme à n'importe quelle page, comme Montaigne ou

�� �