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^20 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

presse, maintenant que la ville est délivrée, de répondre à son amour. Judith lui fait cette question : « Dis-moi, crois-tu qu'on puisse tuer ce qu'on aime ? » Il comprend alors que Judith a aimé Holopherne, et de désespoir il se poignarde sous ses yeux. Nous voyons là que des êtres comme Judith, pourtant supé- rieurs, font le malheur des autres en même temps que le leur.

Madame Simone a, comme toujours, des moments de grand talent. Il faut malheureusement, quelque rôle qu'elle joue, qu'à un moment donné elle crie et gesticule, comme une mauvaise comédienne. Aux deux derniers tableaux, elle est aussi exagérée que déplaisante et ajoute à la fâcheuse impression qu'ils laissent. M. Grétillat est superbe, dans Holopherne, d'attitudes, d'expres- sions de physionomie et de chaleur verbale. La pièce comporte en outre un rôle d'eunuque servile et sarcastique que joue fort bien M. Alcover. A mon avis, la pièce, surtout pour les rôles de Judith et d'Holopherne, est jouée un peu trop extérieure- ment. C'est une œuvre d'analyse. Elle gagnerait à être jouée avec plus de dessous. C'est un jeu qu'on obtient difficilement des comédiens et comédiennes.

On s'est extasié sur les décors, les costumes. Je ne suis pas fou de toutes ces beautés. Judith est une œuvre toute cérébrale. Elle a son intérêt en elle-même et pourrait se passer de tout ce luxe. Les déploiements de mise en scène ne servent vraiment que les mauvaises pièces.

A propos de M. Alcover, que je viens de nommer, on a récemment raconté sur lui une anecdote. Il entre un jour dans un débit de tabac et demande à la buraliste : « Vous avez des timbres? — Oui, Monsieur. — Veuillez m'en montrer, je vous prie. » La buraliste sort toute une feuille et la lui place sous les yeux. M. Alcover se penche, examine, puis désignant un timbre au milieu de la feuille : « Donnez-moi celui-ci », dit-il. Je ne sais si cette anecdote est vraie. En tout cas, elle est amusante.

MAURICE BOISSARD

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